Le recrutement
Les yakuzas d'aujourd'hui viennent de milieux très variés.
Les récits les plus romanesques racontent que les yakuzas recueillent les fils abandonnés ou chassés par leurs parents.
Ils sont souvent recrutés par un clan dès le lycée, une majorité dans les communautés burakumin et coréenne, peut-être à cause de la véritable ségrégation raciale dont elles sont victimes au Japon.
Les burakumin représentent 70 % des membres du Yamaguchi-gumi.
La pègre accepte par ailleurs toutes les origines, ne se fiant qu'aux compétences des individus.
En effet, les yakuzas se composent habituellement d'hommes très pointus, adroits, intelligents, car le processus pour obtenir un poste dans l'organisation est très concurrentiel et darwinien.
Les Coréens, qui forment actuellement le groupe minoritaire le plus important du Japon, sont très présents au sein de la mafia japonaise.
Ils entrent dans la pègre dans le but d'échapper à la pauvreté, car leur intégration sociale et financière au Japon est difficile.
Les Coréens représenteraient ainsi plus de 15 % des effectifs.
Certains gangs, comme le Tao Yuai Jigyo Kummiai, sont même constitués d'une majorité de membres d'origine coréenne.
Les yakuzas sont un milieu japonais entièrement constitué d'hommes.
Le rôle des femmes se situe plus dans l'ombre : elles restent rarement sans activité: elles tiennent des bars, des clubs, des restaurants et autres lieux de distractions.
Néanmoins, certaines femmes restent en dehors des affaires.
Cette situation découle d'une confiance limitée des yakuzas dans leurs épouses.
Ils jugent que les femmes ne sont pas capables de se battre comme les hommes, qu'elles sont destinées à l'éducation des enfants et à tenir la maison, et qu'elles sont incapables de garder le silence.
Il y a néanmoins des exceptions : quand Kazuo Taoka, Oyabun du Yamaguchi-gumi a été abattu vers la fin des années 1990, son épouse Taoka Fumiko lui a succédé pendant une courte période.
L'organisation interne
Les yakuzas ont une structure semblable à celle de la mafia sicilienne, le clan (組, kumi) étant organisé comme une famille (一家, ikka).
Ils ont adopté la structure hiérarchique traditionnelle de la société japonaise, pyramidale, mais aussi familiale, bien que les membres ne soient pas liés par le sang.
Le chef de clan (組長, kumichō) est considéré comme un patriarche, et appelé oya (親) ou oyabun (親分, littéralement « parent, chef », l'équivalent du parrain).
Ce titre se transmet de père en fils, comme une sorte de droit féodal, ou à une personne en qui l’oyabun a une complète confiance.
Chaque membre (組員, kumi-in) accepté chez les yakuzas doit accepter ce statut de kobun (子分, littéralement « enfant, protégé »), en promettant la fidélité inconditionnelle et l'obéissance à son patron.
Toute la structure se fonde sur cette relation oyabun-kobun.
L’oyabun, en tant que bon père, est obligé de fournir la protection et les bons conseils à ses enfants.
Chacun des protagonistes respecte le code du jingi (仁義, justice et devoir).
Chaque kobun peut à son tour devenir « parrain » quand il le souhaite, tout en gardant son affiliation avec son propre oyabun, et ainsi agrandir l'organisation mère.
Le chef de clan est entouré de conseillers (顧問, komon), le plus proche étant appelé saikō-komon (最高顧問).
C'est un poste administratif qui s'occupe de l'état-major (avocats, comptables, etc).
Sous le chef se trouve le kashira (頭), ou plus précisément le waka-gashira (若頭) : c'est le numéro deux de la « famille ».
Il dirige les cadres (幹部, kanbu), tels que le directeur général (本部長, honbuchō), le directeur du comité d'organisation (組織委員長, soshiki iinchō) ou encore le chef du secrétariat (事務局長, jimukyokuchō).
Son « petit frère », le shatei-gashira (舎弟頭), est de même rang, mais inférieur en autorité.
Il est un relais entre les rangs inférieurs et le numéro deux du clan.
Les rangs intermédiaires, les cadets (若中, wakachū), sont composés des kyōdai (兄弟, les « frères »), et le bas de la hiérarchie par les shatei (舎弟, petits frères).
Les apprentis sont appelés junkōseiin (準構成員).
Les rituels et usages
– Saga Junichi, Mémoires d’un yakuza
Il y avait des règles précises pour pratiquement tout - de la façon dont on salue quelqu'un au-dessous ou au-dessus de soi, la façon de parler aux gens, la façon d'indiquer que vous les écoutez, tout. C'est un monde féodal, très différent de la vie ordinaire extérieure. Et ça va même jusqu'à influencer les relations que vous avez avec les femmes.
La « voie chevaleresque »
Les yakuzas suivent le gokudō (極道), la voie extrême.
Mais ils ont également un certain « code d'honneur ».
En effet, l’intégration de rōnin au xve siècle leur a apporté un certain nombre de règles, à l’image du Bushido chez les Samouraïs.
Cette ligne de conduite, le Ninkyōdō (la voie chevaleresque), contient 9 règles :
- Tu n'offenseras pas les bons citoyens.
- Tu ne prendras pas la femme du voisin.
- Tu ne voleras pas l'organisation.
- Tu ne te drogueras pas.
- Tu devras obéissance et respect à ton supérieur.
- Tu accepteras de mourir pour le père ou de faire de la prison pour lui.
- Tu ne devras parler du groupe à quiconque.
- En prison tu ne diras rien.
- Il n'est pas permis de tuer un katagi (personne ne faisant pas partie de la pègre).
La règle 9 n'est pas souvent appliquée, et peu de clans suivent encore cette éthique, et les traditions en général.
La cérémonie d'intronisation
Pour devenir membre à part entière de la famille il faut faire ses preuves, la nationalité n'ayant aucune importance, il faut prouver son attachement aux traditions et à la famille.
C'est pourquoi chaque aspirant doit suivre une sorte d'apprentissage qui dure environ 6 mois, et s'il s'est montré digne, il est intronisé dans la famille.
Il participe alors à la cérémonie d'admission des nouvelles recrues, c'est un rituel commun à plusieurs mafias dans le monde.
Pour les yakuzas, cette étape se nomme le Sakazuki.
Le rituel d'entrée est très cérémonieux : il s’agit d’une réception dont la date est fixée en accord avec le calendrier lunaire.
Tous les participants sont vêtus de kimono, et placés suivant un ordre établi, dans le silence le plus complet. La cérémonie se passe dans une salle traditionnelle, où sont entreposés un autel shintoïste et une table basse avec des cadeaux.
L'Oyabun et le futur membre sont agenouillés l'un à côté de l'autre en face de témoins (Azukarinin), et préparent du saké mélangé à du sel et des arêtes de poisson, puis ils versent le liquide dans des coupes.
Celle de l'Oyabun est remplie entièrement, afin de respecter son statut.
Le saké symbolise ici les liens du sang.
Ils boivent ensuite une gorgée, s'échangent leurs coupes, et boivent à nouveau.
Le nouveau Kobun scelle de cette manière son appartenance à la famille et à son Oyabun, il garde sa coupe (nommée Oyako Sakazuki), elle est le symbole de sa fidélité.
Si un yakuza rend son Oyako Sakazuki à son chef, il rompt ses liens avec sa famille.
Par la suite, l’Oyabun fait un discours rappelant les principes des yakuzas, la fidélité et l'obéissance aveugle. Le rituel se clôt par la rupture du silence, où tous les participants crient en cœur « Omedetō gozaimasu ».
Les premiers pas dans l'Organisation
À la suite de cette cérémonie, le nouvel arrivant est un yakuza à part entière, et doit aider la famille en trouvant du travail.
Il s'appuie alors sur le territoire de la famille, de l'influence de son clan et de son expérience personnelle, où il se fait aider par ses aînés qui l'emploieront.
Son travail dépendra aussi de la spécialisation de sa famille.
Une partie de ses bénéfices sera reversée à son supérieur, en fonction de son rang, lequel reversera à son supérieur, et ainsi de suite.
Il est courant que dans les premiers temps, les nouveaux membres soient exemptés de cette pratique, afin de ne pas pénaliser la croissance de leur affaire.
Si par la suite, ils ont des difficultés à payer, la solidarité dans la famille jouera, et un autre membre pourra payer pour eux.
Néanmoins, si cette situation est récurrente, le membre est rétrogradé, et si au contraire il cotise beaucoup, il monte en grade.
S'il gravit suffisamment les échelons, il sera autorisé à fonder son propre clan.
En cas de faute
le Yubitsume Il existe une autre cérémonie, plus simple : la cérémonie de départ, ou de licenciement (指詰め, Yubitsume).
Si un yakuza enfreint le code d'honneur, il doit, pour se faire pardonner, se mutiler lui-même le petit doigt et l'offrir à l’Oyabun, et lui rendre la coupe de saké qu’il avait reçue lors du rituel d’entrée.
S'il renouvelle sa faute, il doit recommencer la cérémonie avec les autres doigts.
Cette punition, issue de la tradition des Bakuto, n’est pas rare, et peu de yakuzas atteignent un âge avancé avec tous leurs doigts.
Ils gardent le plus souvent leurs doigts mutilés dans le formol, pour se rappeler leur disgrâce.
Si on s'ampute d'une phalange à la suite d'une faute, on parle de shini-yubi (doigt mort).
Mais on peut également utiliser ce rituel afin de mettre fin à un conflit, en donnant son doigt à l'autre clan.
On parle alors de iki-yubi (doigt vivant).
Néanmoins, cette pratique se raréfie, par souci de discrétion face aux autorités.
D'après une étude de 1993, 45 % des yakuzas ont une phalange coupée, et 15 % ont subi deux fois la mutilation.
le SeppukuSi le yakuza commet une faute très grave, il peut aussi être exclu du clan, en recevant une lettre d'exclusion, nommée Hamonjyo.
Elle l'empêche d'intégrer une autre famille en l'informant de sa disgrâce. Écrite en noir, elle symbolise une exclusion temporaire, en rouge, c'est une exclusion définitive.
Si la disgrâce est trop grande, le yakuza peut faire usage d'une autre forme de pénitence, plus radicale, le Seppuku (plus connu sous le nom de hara-kiri), suicide rituel par éventration.
Populaire chez les samouraïs et soldats japonais qui le pratiquaient comme pénitence pour leurs fautes, les yakuzas sont connus pour le pratiquer également, en cas de faute extrême.
La tradition du tatouage
Le rituel le plus pratiqué au sein de la communauté reste le rituel du tatouage, plus connu sous le nom d’irezumi au Japon.
Sa mise en place est très douloureuse, car elle se fait encore de manière traditionnelle ; l'encre est insérée sous la peau à l'aide d'outils non électriques, des faisceaux d'aiguilles fixés sur un manche en bambou ou plus récemment en acier inoxydable (donc stérilisables), fabriqués à la main.
Le procédé est onéreux et douloureux, et certains tatouages sur l’intégralité du corps peuvent demander des mois, voire des années de travail.
Plus de 68 % des yakuzas seraient tatoués, et chaque clan possède son tatouage particulier. Cette pratique est originaire des Bakuto, dont les membres se tatouaient un cercle noir autour de leurs bras à chaque crime commis.
C’est aujourd’hui plus la résultante d’une volonté des clans de se différencier, et une preuve de courage et de fidélité envers leur « famille », car le procédé est irréversible.
Dans certains clans, le tatouage a une symbolique particulière : les motifs choisis par les chefs de clan pour les nouveaux membres sont à l'opposé de leur caractère.
Par exemple, un dragon va correspondre à une personne calme, tandis qu'une geisha sera associée à une personne de nature agressive.
Les principales familles
Les forces de l'ordre comptabilisaient 18 100 yakuzas en 2016 (-10 % par rapport à 2015), 39 100 en ajoutant les membres associés (-17 %).
En 2015, l'estimation était de 53 300 membres.
Elles en dénombraient fin 2013 58 600 yakuzas, contre 63 200 en 2012.
D'autres estimations comptabilisaient en septembre 2012 plus de 80 000 yakuzas répartis dans 22 organisations criminelles désignées par le gouvernement.
Il y a deux sortes de yakuzas : 41 500 travaillent à plein temps, tandis que 43 200 ont des activités annexes (2007).
Leur nombre a beaucoup baissé à la suite d'une loi antigang votée en 1992 par le gouvernement japonais, afin de faire disparaître les syndicats du crime.
Ils restent pourtant la plus grande organisation de crimes organisés du monde, selon le Livre Guinness des records.
Leurs effectifs sont concentrés dans quatre familles principales :
Yamaguchi-gumi (六代目山口組, Rokudaime Yamaguchi-gumi)Créée en 1915, c'est la plus grande famille yakuza, avec 11 800 membres (dont 5 200 membres réguliers), contre 25 700 membres en 201360, répartis dans 750 clans, soit 45 % de l'effectif total.
En dépit de plus d'une décennie de répression policière, le poids de cette famille n'a cessé de croître avant de connaitre un déclin.
Le Yamaguchi-gumi a son quartier général à Kobe, mais il est actif à travers tout le Japon, et mène également des opérations en Asie et aux États-Unis.
Son oyabun actuel, Shinobu Tsukasa (de son vrai nom, Kenichi Shinoda), mène une politique expansionniste, il a fait de nombreuses incursions à Tokyo, qui ne fait pourtant pas partie traditionnellement des territoires du Yamaguchi-gumi.
En 2015, le clan éclate en deux, un lieutenant de Kobé ayant fait sécession
Sumiyoshi-rengō (住吉連合), parfois appelé Sumiyoshi-kai (住吉会)C'est la seconde organisation la plus importante, avec 9 500 membres en 2013 répartis dans 177 clans.
Le Sumiyoshi-kai, comme on l'appelle parfois, est une confédération de plus petits groupes. Son chef est Hareaki Fukuda (福田 晴瞭).
Structurellement, le Sumiyoshi-kai diffère de son rival principal, le Yamaguchi-gumi.
Il fonctionne comme une fédération, avec une chaîne de la commande plus lâche et bien que Nishiguchi soit toujours le parrain suprême, il partage ses pouvoirs avec plusieurs autres personnes.
Inagawa-kaï (稲川会)C'est le troisième plus grand groupe yakuza au Japon, avec approximativement 5 000 membres et 313 clans.
Il est basé dans la région de Tokyo-Yokohama, et c'est l'un des premiers organismes de yakuzas à s'être lancé dans le marché hors du Japon.
Depuis 2005, le petit-fils de Kakuji Inagawa, Hideki Inagawa est pressenti pour devenir le chef.
Tōa Yuai Jigyō Kummiai (東亜友愛事業組合), parfois appelé Tōa-kai (東亜会)Fondé par Hisayuki Machii (町井 久之 Machii Hisayuki, né 鄭 建永 Chong Gwon Yong ; 1923 - 2002) en 1948, ce rengo est rapidement devenu un des plus influents de Tokyo. Il compterait 6 clans et plus de 1 000 membres, sa particularité étant d'être composé d'une majorité de yakuzas d'origine coréenne. Son chef actuel est Satoru Nomura (野村 悟).
Les suffixes derrière chaque nom de famille ont tous une signification particulière.
Le suffixe Gumi pourrait se traduire par « bande, compagnie, ou gang », Kai par « association ou société », et Rengō par "coalition" ou "fédération".
Ils donnent une indication sur la forme d'association utilisée par la famille.